Les fidèles lecteurs de cette Newsletter savent que je suis passionné par la création, cette capacité extraordinaire de faire surgir quelque chose hors du néant, de transformer la feuille blanche en œuvre dotée d’une existence propre.
J’ai déjà abordé ce thème sous l’angle de la créativité (UPI#81), de la gestion de projet (UPI#83), ou en parlant de l’inventeur (UPI#72).
Mais au fond qu’est-ce que la création ? Comment définir et caractériser cet acte si emblématique de l’Homme ?
A l’heure de la montée en charge de l’Intelligence Artificielle qui semble menacer nombre de métiers créatifs, il est bon de se poser la question du rôle de la création dans nos vies.
Qui dit création, dit créateur. En comprenant mieux ce qu’est la création, peut-être saurons-nous mieux valoriser les créateurs. C’est en tous cas dans cet objectif que j’écris cet article.
Avant de commencer
Dans le dernier numéro, je vous avais proposé un mini-sondage pour savoir si vous seriez intéressés par des conseils personnalisés, et si vous seriez prêts à payer pour cela. Même si le sondage n’est pas statistiquement significatif car vous avez été peu nombreux à répondre, celles et ceux qui l’ont fait ont très majoritairement dit oui aux deux questions.
Je vais donc réfléchir plus sérieusement à cette possibilité.
Pour confirmer cette direction, je vous repose une seule question en espérant que vous serez plus nombreux à répondre.
La création commence par une parole
Toutes les civilisations ont leur propre récit de la Création, en tant qu’acte fondateur de notre univers. Dans la civilisation judéo-chrétienne, la Genèse commence par le récit imagé de la création du monde en 6 jours.
Ce qui m’a toujours frappé dans ce récit de la Genèse, c’est que la création est le fruit de la parole et non des mains. Cette vision de la création n’est pas seulement d’ordre littéraire, mais porte une vérité profonde de l’acte créatif.
La création se distingue de la fabrication par la parole qui l’initie.
La fabrication est un acte mécanique qui reproduit un procédé afin d’obtenir un objet. La fabrication ne nécessite pas d’acte créatif, mais seulement une maîtrise gestuelle des techniques. La fabrication est accessible au monde animal : l’oiseau fabrique son nid suivant une technique millénaire qu’il reproduit à l’infini.
La création commence par l’imagination puis se verbalise avant de se matérialiser. En naissant dans son esprit, la création de l’Homme peut être exprimée avant d’exister. C’est je crois ce qui distingue l’Homme de l’ensemble des autres animaux.
En verbalisant sa création, l’Homme peut la partager avec ses semblables et ainsi embarquer les autres dans la réalisation d’une œuvre que souvent il ne peut accomplir seul.
Le seul fait d’exprimer une idée peut la rendre réelle, car une fois partagée, elle prend une existence propre. Une idée exprimée ne dépend plus de son émetteur. Elle peut être reprise par quelqu’un d’autre et voir le jour.
Tout ce qui existe autour de nous a un jour commencé par être une pensée qui s’est plus tard exprimée en parole avant de devenir un projet pour enfin exister réellement.
Pour s’assurer de maximiser le potentiel créatif d’une communauté d’individus, il est donc essentiel de libérer la parole.
La création nait d’un rêve
La création n’est possible que s’il y a un désir d’autre chose, une croyance forte qu’on peut changer une situation, une foi en un avenir différent, une confiance en son influence sur le monde.
Cette ouverture vers un avenir souhaité nourrit le rêve. A force de se projeter, de penser encore et encore à cette réalité qu’il espère, l’individu créatif forge une vision de ce qu’il accomplira.
Celui ou celle qui pense qu’il n’est capable de rien, qui accepte avec fatalité son sort, qui a une vue étriquée de son rôle dans sa communauté ne peut créer. En effet, il s’interdit d’imaginer des solutions, puisqu’il pense ne pas pouvoir les mettre en œuvre. En bridant ainsi son imagination, il s’interdit tout acte créateur.
C’est le rêve de voler qui a permis aux frères Wright d’inventer l’avion. C’est seulement le rêve qui a permis à James Cameron d’imaginer Avatar puisqu’il a dû attendre plus de 20 ans que la technologie soit disponible pour créer son œuvre.
Il est essentiel d’encourager le rêve, de cultiver notre âme d’enfant capable d’imaginer tout et n’importe quoi, de ne pas brider nos aspirations, car c’est ce qui constitue le terreau fertile de la création.
La création ajoute de la valeur instantanée
La valeur ajoutée dans une entreprise est la différence de valeur créée entre le produit ou le service délivré et la somme des éléments ayant servi à sa production.
La valeur ajoutée matérialise l’apport de valeur fourni par le travail humain ou mécanisé au cours de la production d’un bien ou d’un service. Elle n’est qu’une mesure du travail de production.
La valeur ajoutée est linéaire. Elle n’est que la somme d’incréments de valeur unitaire fournis par l’employé ou la machine.
La création au sens d’acte créateur qui fait passer une idée au statut de réalité tangible, génère une valeur qui n’est pas linéaire.
La création peut être vue comme une fonction de Heaviside utilisée en mathématique pour exprimer le passage instantané de 0 à 1. La création n’est pas l’accumulation de petits incréments de valeur, mais l’apparition quasi instantanée d’une valeur nouvelle. Avant que l’idée ne soit exprimée, il n’y a rien, et dès lors qu’elle est verbalisée, la valeur potentielle surgit. Il faudra ensuite travailler pour qu’elle devienne réalité, y incorporant ainsi de la valeur ajoutée supplémentaire.
Pour reprendre l’exemple d’Avatar, la valeur colossale générée par ce film résulte bien sûr du travail de milliers de gens talentueux qui ont contribué à sa production. Mais l’acte fondateur unique qui a permis à ce potentiel de se révéler est l’acte créatif de James Cameron. La valeur instantanée potentielle issue de la création de l’artiste est juste extraordinaire.
Cette différence ontologique entre la valeur générée par la création et celle générée par la fabrication est difficile à comprendre pour beaucoup de personnes. Les prises de position politique qui stigmatisent les entrepreneurs à succès devenus milliardaires, en leur reprochant de s’être enrichis sur le dos des employés, relèvent souvent de la confusion entre la valeur de la création et celle de la production. Sans entrer dans le débat et se mettre d’accord sur un ratio acceptable de partage des richesses, il convient de comprendre que la création prime sur la fabrication, tout simplement parce que sans création, il n’y a pas de fabrication possible. On pourrait arguer que sans fabrication, la création ne peut exprimer sa valeur. C’est vrai aussi, mais l’histoire démontre que la fabrication repose sur un immense vivier de compétences, là où la création est beaucoup plus rare. La valeur est encore une fois une question de rareté des ressources.
Alors que la fabrication ne fait qu’ajouter de la valeur linéairement, la création génère un surcroit de valeur instantanée qui peut parfois être considérable.
Le cadre annihile la création
Il est souvent dit que les contraintes, ou le cadre législatif strict favorisent la créativité. C’est vrai, et les esprits très créatifs se font un plaisir de contourner les règles pour atteindre leurs objectifs. Je ne suis pas sûr par contre que cela favorise la création à grande échelle.
Prenons l’exemple des appels à projets émis par l’Etat ou par l’Europe. Aujourd’hui, une très grande quantité d’argent public est distribué aux entreprises et autres organisations sous forme d’appels à projets.
Depuis des dizaines d’années, je suis amené à répondre régulièrement à des appels à projets. Je constate qu’avec le temps, le cadre proposé par ces appels se précise tellement qu’il réduit la possibilité de répondre de façon créative. Aujourd’hui, la plupart des appels à projets ne se contentent plus de décrire de façon assez large les attendus. Ils précisent quasiment tout : les thèmes, les sous-thèmes, les mots clés, la structure du document de réponse, les différents chapitres attendus, le nombre de caractères de chaque paragraphe, etc…. Cette approche très codifiée fait le bonheur des consultants qui en maîtrisant bien ce cadre sont capables d’industrialiser efficacement la production de dossier. Elle tue cependant la création.
Comme le cadre est précis, les projets ont tendance à se ressembler. Comme le cadre est contraignant, il est plus difficile et moins tentant d’être très créatif. Résultat des courses, les projets proposés sont peu disruptifs et créent une valeur limitée. Le cadre privilégie la forme sur le fond.
Une approche beaucoup plus intéressante serait de laisser une grande latitude aux soumissionnaires, en étant beaucoup plus exigeant par contre sur la valeur créée. Au lieu de tenter a priori de limiter les risques, il serait plus prometteur d’évaluer a posteriori les résultats et de reconduire pour de futurs projets ceux qui auraient créé le plus de valeur.
Attention au cadre que nous définissons dans une entreprise. Il peut étouffer la création et brider la créativité des collaborateurs.
Quand le collectif détruit la création
Il est à la mode aujourd’hui de mettre en avant les démarches collectives. Il semblerait que l’approche collective qui met tout le monde sur un pied d’égalité quelque soit le sujet abordé soit la panacée.
La réalité est souvent tout autre.
Je suis toujours aussi surpris, malgré ma longue expérience, par l’écart colossal qui existe souvent entre la qualité individuelle des personnes autour d’une table et la pauvreté abyssale des idées ou des projets qui résultent de leur travail collectif.
Il semblerait que le fait de travailler ensemble dédouane chacun de sa responsabilité individuelle de penser et de s’élever au-dessus de la banalité. Je rêverais un jour de faire un travail de recherche sérieux pour comprendre les ressorts profonds de ce phénomène tellement destructeur de valeur.
J’ai encore assisté récemment à un phénomène de ce type. Je dis “assisté” car bien qu’étant dans le groupe, je me suis refusé à participer à cette mascarade. Vu le tour de table qui comptabilisait plus de cent cinquante ans d’études supérieures et plus de mille ans d’expérience professionnelle, on pouvait espérer une production créative intéressante. Il n’en fut rien. Bien au contraire, le résultat était si pauvre, si banal et si peu porteur de valeur que le projet n’a pratiquement aucune chance de voir le jour. Chacun était paradoxalement content du travail accompli.
La dynamique de groupe a engendré une spirale négative dont les ingrédients autodestructeurs principaux sont les suivants :
une implication individuelle limitée car personne ne se sent individuellement garant du résultat,
une auto-censure individuelle destinée à maintenir une harmonie de façade entre des acteurs non totalement alignés,
une peur de la prise de risque,
une appréhension de devoir sortir de sa zone de confort au cas où une idée plus audacieuse viendrait à se réaliser,
un certain manque d’ambition, peut-être dû à un espoir limité dans les chances de succès du projet,
une attitude complaisante de type “faire pour faire”.
Ce schéma collectif destructeur de valeur se retrouve régulièrement dans les administrations, les grandes entreprises ou les projets mêlant plusieurs organisations et heureusement plus rarement dans les petites entreprises.
La création de valeur collective est certainement possible mais nécessite la mise en place de quelques règles pourtant assez simples, que j’ai en partie développées dans UPI#7 :
bien définir en amont les objectifs du projet,
nommer clairement le ou les responsables,
préparer la production collective en utilisant les outils d’animation adéquats,
déléguer clairement des sous-tâches en exprimant des attendus,
challenger en permanence le status quo en poussant chacun dans ses limites.
Attention à ne pas se laisser embarquer dans la fable que le collectif est plus efficace que l’individuel. Ceci n’est vrai que si les conditions méthodologiques adéquates sont réunies, et si l’état d’esprit de chaque participant est tourné vers la recherche ambitieuse du succès.
Communication n’est pas création
Nous vivons à l’ère de la communication exacerbée. Il faut communiquer avant même d’agir, communiquer pour faire connaître ses actions, communiquer pour valoriser ses résultats, communiquer pour vendre, communiquer pour exister.
Communiquer est une activité presque aussi essentielle que faire.
Cette tendance est telle que certains sautent le pas et croient que communiquer c’est faire. La communication devient une fin en soi.
Lorsqu’on atteint ce stade, la création est en danger. En effet, dès lors que la communication devient la mesure du succès, que la communication supplante l’action, la création devient accessoire. La création est difficile, coûte en effort et en prise de risque, là où la communication ne nécessite que des moyens financiers et un bon savoir-faire.
Cette stratégie de la communication préférée à la création, souvent employée en politique, se rencontre aussi dans les entreprises.
Lorsque Apple scénarise le lancement de ses nouvelles versions de l’Iphone, la communication surpasse souvent la valeur ajoutée réelle apportée par la nouveauté. Cette stratégie permet à l’entreprise de maintenir sa position sur le marché sans avoir à investir lourdement pour innover.
Cette stratégie de la communication se rencontre aussi au niveau plus individuel. Certaines personnes préfèrent développer une stratégie de mise en valeur de leurs maigres actions afin de se faire bien voir de la hiérarchie, plutôt que d’agir sérieusement et de créer de la valeur.
Le problème principal de cette stratégie c’est qu’elle fonctionne souvent assez bien et que la communication fait illusion et permet à ceux qui l’adoptent de gagner injustement une certaine reconnaissance. Les plus malins comprennent même à quel moment il faut changer de poste, avant qu’ils ne soient finalement démasqués.
Malgré la tentation qu’elle peut présenter, la stratégie de la communication ne crée pas de valeur dans la durée. Elle est donc à fuir pour toutes celles et ceux qui veulent sincèrement être dans le camp des créateurs utiles.
La beauté de la création
Théo Jansen est un artiste-ingénieur qui s’inscrit dans la lignée de Léonard de Vinci. Depuis 40 ans, il construit des machines fantasmagoriques extrêmement poétiques. Son art s’appuie sur ses connaissances scientifiques. Il a réussi comme peu de personnes arrivent à le faire à marier la beauté de l’art et la perfection des équations.
En creusant son procédé, depuis toutes ses années, il a atteint une forme de perfection qui inspire les autres. La NASA s’appuie d’ailleurs sur ses mécanismes pour la conception de ses robots à envoyer sur Vénus.
Le panthéon de Rome, le plus vieil édifice encore utilisé au monde, est aussi une œuvre incroyable qui allie la beauté architecturale et la prouesse technologique.
Les créations les plus abouties issues des rêves les plus fous comportent généralement un mélange d’esthétisme et de technicité. La technicité permet de pousser la vision à sa limite et l’esthétisme procure la sensation de plénitude du devoir accompli tout en emportant l’adhésion du public.
Quelle que soit l’importance ou le niveau d’une création envisagée, c’est en alliant l’esthétique et la technicité que l’on obtient le plus haut degré de satisfaction, et que l’on manifeste le mieux notre puissance créatrice.
Entrez en création
L’Homme est créé pour créer.
Nous sommes toutes et tous appelés à cette destinée.
Je vous invite donc à vivre chaque jour comme une opportunité de création, à entrer dans chaque projet avec l’intention de créer et non seulement de fabriquer.
Vécue ainsi, la vie prend une autre saveur, et pour sûr procure un sentiment de plénitude.
Échappez au cadre, fuyez le rouleau-compresseur des mauvaises démarches collectives, résistez à la tentation facile de la communication pour vous adonner à la création, génératrice de valeur durable.
La minute d’informations
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Merci Christian comme à chaque fois, c’est si bien dit et tellement intéressant !