Au fond, si l’on simplifie à l’extrême, il n’y a que deux styles de management irréconciliables : le management par la confiance et le management par la règle.
Une longue discussion avec des collaborateurs cette semaine m’incite à partager ici la profonde différence entre ces deux styles de management.
Bien en comprendre leurs fonctionnements, leurs implications et leurs mises en pratique est essentiel pour tout dirigeant, mais aussi pour tout salarié. Et cette compréhension est pourtant loin d’être acquise, ce qui explique en partie les dysfonctionnements et les frustrations rencontrés dans nombre d’entreprises.
Je ne vais pas vous infliger un article académique, une structure en thèse-antithèse, et une analyse détaillée des avantages et inconvénients de chacun des styles.
Je ne sais pratiquer autre chose que le management par la confiance, et je suis convaincu qu’il est infiniment supérieur. Je vais tenter de vous convaincre si vous ne l’êtes pas déjà.
La confiance : une ambiance souhaitée par tous
J’ai écrit sur la confiance en entreprise (UPI#11), alors que nous entrions dans le premier confinement et que pour beaucoup d’entreprises le télétravail représentait un saut dans l’inconnu.
Je ne connais personne qui n’apprécie pas qu’on lui fasse confiance. Je pense même que la confiance est une aspiration profonde de chaque individu, car la confiance accordée à quelqu’un lui reconnaît une existence, une valeur et une place dans la communauté auquel il appartient, que ce soit l’entreprise, la famille ou même la société en général.
En entreprise, une grande partie de la perte de sens au travail et de la démotivation des salariés qui entraîne le “quiet-quitting” est due au sentiment des salariés qu’on ne leur fait pas confiance.
Soumis au contrôle permanent, à des règles infantilisantes, tenus à l’écart des informations importantes, et rarement associés aux décisions, certains salariés vivent leur quotidien au travail comme une activité servile non épanouissante.
Pour maintenir une certaine efficacité, les entreprises ne comprenant pas les ressorts de la motivation, ou craignant de faire confiance, tentent de renforcer les règles, d’en préciser les cas d’applications, et d’être aussi explicites que possible sur les attendus vis-à-vis de chacun. Il en résulte une plus grande annihilation de l’initiative individuelle et par conséquence une négation de l’apport de chacun à l’œuvre collective.
Personne ne souhaite cela. Les employés préfèrent être reconnus pour ce qu’ils peuvent apporter et les dirigeants recherchent le maximum de performance de leur entreprise qui est impossible dès lors que la démotivation des salariés est trop grande.
Paradoxalement, les négociations entre les syndicats représentants les salariés et les patrons conduisent la plupart du temps à renforcer les règles et donc les contrôles, entrainant la privation d’un espace de liberté pour tous.
Le droit du travail résultant de cette approche est un carcan qui frise parfois l’absurde et n’a pas fait la preuve de sa capacité à rendre les salariés plus heureux et les entreprises plus prospères.
La solution est pourtant évidente : une plus grande confiance réciproque permettrait de rendre à la fois liberté et sens aux salariés, et prospérité à l’entreprise.
Pourquoi donc cette approche qui satisferait tout le monde n’est-elle pas plus répandue ? Parce qu’évidemment, elle nécessite quelques pré-requis qu’il faut mettre en place et une compréhension mutuelle du fonctionnement d’un écosystème basé sur la confiance. C’est ce que je vais essayer de montrer dans les paragraphes suivants.
Un socle indispensable : des valeurs, du bon sens et des principes
Pour être efficiente au sein d’un groupe de personnes, la confiance demande un minimum de pré-requis entre les membres du groupe.
Toutes les règles n’étant pas définies dans le détail, l’action quotidienne de chacun et les décisions à prendre sont soumises à d’autres critères : les valeurs personnelles, le bon sens, et quelques principes généraux définis collectivement ou par les dirigeants.
Dans l’entreprise comme ailleurs, de nombreuses situations font appel aux valeurs universelles comme par exemple : la vérité, la justice, l’équité, l’honnêteté, la fidélité, l’engagement, la loyauté, le respect, la gratitude, la bienveillance.
Ces valeurs, fruits de notre éducation, de notre culture et de nos expériences de vie restent des acquis individuels. Les partager avec d’autres de façon homogène n’est pas systématique. C’est toute la difficulté de constituer une équipe fédérée par un socle commun.
J’ai déjà écrit sur les valeurs en entreprise (UPI#111). Il y a les grandes entreprises qui essayent tant bien que mal de plaquer des valeurs à leur vécu, mais avec de très nombreux salariés, c’est difficile. Peu y parviennent et les chartes de valeurs apparaissent bien souvent artificielles. A l’opposé, les entreprises à taille humaine réussissent plus facilement à construire un socle commun de valeurs, souvent sous l’impulsion des dirigeants qui savent partager leurs propres valeurs et entraîner leurs équipes.
Le bon sens est étouffé lorsque les règles régissent la moindre situation. Quand survient le cas particulier, l’incident imprévu, quand il faut faire face à une surcharge, les règles montrent leurs limites et le bon sens devient nécessaire. Mais le salarié n’étant pas habitué à cette liberté et son bon sens peu sollicité n’étant pas entraîné, au moment où il faut s’en servir, le résultat n’est pas garanti. Le bon sens est un muscle qui nécessite de la pratique, car il n’est autre que le fruit de l’expérience.
Les principes ne sont pas des règles mais un cadre général qui permet de guider les salariés pour prendre de bonnes décisions. Ces principes peuvent concerner le traitement des clients, l’approche des achats, la gestion des irrégularités, la prise de risque, les relations entre collègues, le fonctionnement interne de l’entreprise et tant d’autres domaines. Un exemple de principe : “le prix n’est pas la valeur”. Un objet ou un service ne sont pas chers ou bon marché au regard du montant au bas de la facture, mais au regard de la valeur qu’ils procurent. Ce principe oblige à réfléchir avant d’acheter pour comprendre la valeur réelle du produit ou du service, ce qui est bien sûr moins simple que d’appliquer bêtement la règle d’acheter toujours le moins disant.
Les valeurs, le bon sens et les principes constituent ce qu’on appelle la culture d’entreprise (UPI#38). Une culture forte est un pré-requis pour le management par la confiance, qui devient à son tour un élément de la culture.
Règle et confiance : une opposition irréconciliable ?
Nous l’avons dit : tout le monde souhaite qu’on lui fasse confiance. Il devrait donc être très simple d’impulser un management par la confiance.
Pourtant, la plupart des gens y compris ceux avides de confiance, et ceux expérimentant le management par la confiance, réclament aussi des règles plus précises.
Vivre et travailler sous le régime de la confiance est désirable mais difficile. Cela nécessite d’exercer son pouvoir d’agir, de décider, de prendre des initiatives en s’appuyant sur ses valeurs, son bon sens et les principes de l’entreprise. Il est surement plus simple, surtout pour un jeune collaborateur de disposer de règles précises.
Mais alors pourquoi ne pas associer les deux approches : avoir des règles précises et faire confiance. Cette vision séduisante ne résiste pourtant pas à l’analyse.
Une règle est faite pour être appliquée, sinon elle ne sert à rien. Pour qu’elle soit appliquée correctement, il faut en contrôler son exécution, car sans contrôle, la règle apparaît futile et sera vite délaissée.
Mais s’il y a contrôle fréquent, la confiance sera vite absente.
Si donc les règles sont précises et régissent presque tous les aspects du travail, qu’elles sont appliquées et donc contrôlées, la confiance n’a plus de place.
La règle asservit. La confiance libère.
La règle infantilise. La confiance fait grandir.
Afin de former son caractère et d’apprendre les valeurs, l’enfant a besoin de règles. Puis en grandissant, il intériorise les règles, en comprend l’utilité, le sens et la portée. Petit à petit les règles deviennent des valeurs. Ce processus s’appelle accéder à l’âge adulte et à la maturité.
Même si tout le monde n’a pas la chance de grandir dans une famille structurante, ce processus de croissance vers la maturité peut toujours s’effectuer plus tard au travers des expériences de la vie, et y compris au travail, lorsque le cadre est celui de la confiance. S’il reste celui de la règle, la croissance vers la maturité est difficile.
La confiance exige la solidarité
Au sein d’une communauté, d’un groupe régit par les relations de confiance, la trahison d’un seul fragilise l’édifice.
Celui qui ne respecte pas la confiance qui lui est faite par l’autorité, et par ricochet par ses pairs, trahit le groupe. En s’attribuant le droit d’enfreindre le principe commun, l’individu s’extrait du groupe et prend le risque de se retrouver mis à l’écart.
Dans les équipes des forces spéciales (comme les Navy SEALs), la confiance mutuelle est absolue. Un manquement aux valeurs collectives conduit à une exclusion immédiate, car la vie de chacun dépend de l'engagement total de tous.
Si dans l’entreprise par exemple, le principe en vigueur est celui de la solidarité, où chacun est appelé régulièrement à sortir de sa mission personnelle pour venir en aide à un collègue en difficulté ou contribuer à une tâche commune, un employé refuse de participer en prétextant que cette tâche ne figure pas dans son contrat de travail, en choisissant la règle stricte au détriment du principe, en jouant son intérêt personnel en lieu et place de l’intérêt collectif, il coupe le lien qui le relie aux autres.
Dans nos sociétés occidentales où l’individualisme est fort, cette situation est fréquente, là où elle est beaucoup plus rare dans les sociétés orientales où le groupe et ses valeurs priment sur l’individu et son droit.
Si le rupture de la confiance issue de la violation des principes se répète et fait éventuellement tâche d’huile, tout l’édifice devient fragile. Ceux qui se dévouent pour les autres, voyant que quelques-uns ne jouent pas le jeu, vont se désengager à leur tour. Les dirigeants voyant que la confiance se perd, seront tentés de remettre de la règle.
Comme la règle ne peut être à deux vitesses, elle va s’appliquer à tous, y compris à celles et ceux qui continuaient d’agir selon les principes et en confiance. Ils vont alors mal vivre cette perte de confiance et de liberté et peut-être en vouloir à ceux qui n’ont pas respecté le pacte.
Le prix de la liberté
La liberté est une aspiration profonde de tout individu. De même que la confiance des autres est une reconnaissance de l’individu au sein d’un groupe, la liberté est une affirmation de son essence d’être humain à part entière.
La confiance en s’affranchissant de règles strictes pour ne garder que les principes, les valeurs et le bon sens, offre à chacune et chacun le plus grand espace de liberté possible au sein d’une équipe dotée d’une mission commune.
Cette liberté si appréciable ne peut s’exercer pleinement qu’en adhérant volontairement aux principes et valeurs et en choisissant de s’y conformer en toutes circonstances.
L’écrivain brésilien Paulo Coelho écrivait d’ailleurs : “la liberté n'est pas l'absence d'engagement, mais la capacité de choisir et de s'engager envers ce qui a du sens."
Cette liberté n’est pas celle des anarchistes ou des libertariens, elle est celle des adultes mûrs qui choisissent en toute connaissance de cause d’adhérer joyeusement aux principes et valeurs communes, parce qu’ils en ont compris la valeur et la fragilité.
Ce choix assumé implique à certains moments des renoncements, voire des sacrifices pour respecter le pacte commun et résister à la tentation temporaire de profiter individuellement d’une situation.
La liberté épanouissante et respectueuse de celle des autres est à ce prix.
Quelques clés du management par confiance
Si vous créez une entreprise, ou démarrez dans le management d’une équipe et que vous souhaitiez instaurer un management par la confiance, comment faire ?
Je ne crois pas à la recette miracle en 3 points, car le management par la confiance est un processus vivant à améliorer. Il évolue au fil des personnes qui intègrent l’équipe et des situations que traverse l’entreprise.
Je ne peux donc ici que vous partager quelques grands principes qui me paraissent des clés essentielles à respecter :
ayez vous-même un bloc de valeurs solides qui constituent vos piliers de vie et sur lesquelles vous ne pouvez être mis en défaut. Si vous mentez une fois par jour, ne prônez pas la vérité comme une valeur cardinale de l’entreprise.
faites réellement confiance. La confiance ne se dit pas, elle se vit. Inutile de répéter à longueur de journée à votre salarié “je te fais confiance”, si vous ne pouvez vous empêcher de regarder au moins une fois par jour son agenda, ou de regarder son écran par dessus son épaule, ou de l’appeler toutes les heures quand il est en télétravail.
partagez sans cesse vos principes. Expliquez vos décisions, vos comportements, vos attitudes en décortiquant l’application des principes qui les ont engendrés. Rien n’est évident. Surtout avec des salariés plus jeunes ou nouveaux dans l’entreprise, ne supposez pas qu’ils puissent lire tout seuls vos agissements. Verbalisez au maximum les choses et plusieurs fois, sans avoir peur de rabâcher. J’étais récemment dans une entreprise où le dirigeant avait affiché la charte de ses 10 principes. C’est assurément une bonne pratique.
accompagnez chaque collaborateur individuellement. La confiance s’appuie sur les valeurs. Il est donc essentiel de connaître les valeurs de chacun, et de partager avec les mots qu’il saura comprendre vos propres valeurs. La confiance se construit dans l’écoute, le dialogue et la connaissance de l’autre.
résistez autant que possible à l’introduction de règles juste pour faire plaisir à quelques-uns. La confiance ne souffre pas les demies-mesures comme les digues sont solides tant qu’il n’y a pas de failles.
acceptez les imperfections et les erreurs. La confiance ne transforme pas les personnes en super-héros et n’est pas une assurance contre les erreurs (voir UPI#150). Si vous n’acceptez pas l’erreur lorsqu’elle survient, les salariés vont perdre leur confiance en vous, et remplaceront les principes par des règles limitantes qu’ils construiront eux-mêmes pour se protéger. Finie alors la prise d’initiative.
aimez votre équipe. Il est impossible de faire confiance à des gens qu’on n’aime pas. C’est trop difficile. Manager par la confiance n’est jouable que si vous aimez sincèrement votre équipe.
kiffez chaque moment. Manager par la confiance est un vrai bonheur. Profitez-en amplement !
Un pas dans l’inconnu
Avec les règles tout est prévu, et donc presque tout est prévisible.
Avec la confiance, les surprises sont nombreuses. La plupart du temps, elles sont bonnes, souvent excellentes.
Qu’il est beau de voir un collaborateur surpasser son potentiel parce qu’on lui a fait confiance. Il est certain que les moments de cette nature resteront les plus beaux souvenirs de ma carrière.
Pour notre “procès de l’IA” organisé il y a un peu plus d’un mois pendant le West Data Festival, le clou de la soirée résidait dans la présence de l’IA accusée, incarnée par son avatar et interviewée en live. J’avais confié la fabrication de l’avatar, le choix des outils d’IA à utiliser et la définition du prompt contextuel à notre alternante. Elle a travaillé seule sur ce sujet, et il n’y a pas eu de répétition du procès. J’avais juste pris 10 minutes quelques jours avant pour tester l’IA en lui posant quelques questions, plus par curiosité que par contrôle d’ailleurs. Le jour du procès et devant 500 personnes, nous étions sans filets. Ce fût un grand succès comme vous pourrez en juger en visionnant le replay.
La confiance est une alchimie savante entre l’intuition que la personne en est capable, l’énergie que procure cette confiance qui permet à la personne de se dépasser pour être à la hauteur des attentes et le biais de renforcement qui permet de se dire “si on me fait confiance, c’est que j’en suis capable”.
La confiance est souvent un pas dans l’inconnu, un pas de foi (et oui, confiance et foi ont la même racine), mais ce pas est transformatif. Il agit souvent comme une prophétie autoréalisatrice puissante qui autorise les plus beaux succès, là où la règle met en boîte un champ des possibles étriqué et castrateur.
La minute d’informations
Je me permets de partager ici des informations ou activités dans lesquelles je suis impliqué. Aujourd’hui, c’est un webinaire que je vais donner le 13 mai.
Mardi 13 mai 2025, webinaire :
Changer de modèle économique pour changer la donne
Votre activité tourne, mais vous sentez qu’elle stagne ? Peut-être même que quelque chose coince, sans que vous arriviez à mettre le doigt dessus. Vos clients, eux, évoluent … et il devient difficile de suivre le rythme ?
Peut-être que votre modèle économique ne répond plus tout à fait aux réalités du marché … ou qu’il repose sur des bases que vous n’avez jamais vraiment formalisées.
Et si c’était le bon moment pour faire le point ? Rester sur un modèle qui ne vous ressemble plus, ou qui n’est plus adapté, c’est risquer de passer à côté d’opportunités, de dépendre d’un seul type de client, ou de perdre en rentabilité. Pourtant, réfléchir à son business model, ce n’est ni réservé aux startups ni forcément compliqué !
Grâce à ce webinaire, animé par Christian Travier, directeur de Laval Mayenne Technopole, vous découvrirez ce qu’est réellement un modèle économique, avec des exemples concrets pour en comprendre la puissance. Nous explorerons ensemble les grands types de business models existants, leurs logiques, et une méthode simple pour (re)penser le vôtre.
Repartez avec des pistes concrètes pour retrouver du souffle, innover ou diversifier vos sources de revenus.
Êtes-vous prêt à changer de modèle pour changer la donne ?
J'adhère complètement au management par la confiance, et pour autant je ne l'aurais pas mis en totale opposition aux règles. Peut-être parce qu'on n'y met pas exactement les mêmes choses derrière.
En sociocratie il y a des process bien définis qui déploient l'intelligence collective pour prendre des décisions éclairées et garantir l'implication et l'adhésion du groupe dans la décision (ex : la décision par consentement, ou l'élection sans candidat).
Je considère ces process comme des "règles" à respecter. Il y a d'ailleurs un rôle qui est chargé de faire respecter le process : le Facilitateur.
Quelle différence entre règle et process ?