Depuis quelques jours, une affaire secoue le monde des startups. Un compte Instagram anonyme recueille le témoignage de salarié.e.s de startups qui dénoncent les abus et les conditions de travail. La plus décriée est Lou.yetu, une jeune entreprise à forte croissance qui vend des bijoux qu’elle déclare comme Made in France.
Il y aurait de nombreux angles de vues pour analyser cette actualité: le risque de “bad buzz”, la communication de crise, la marque employeur, la dénonciation anonyme, l’apprentissage du management dans une jeune société, le danger de tout sacrifier à la croissance, la nécessité de la transparence, le principe de réalité qui oblige d’admettre qu’il est parfois impossible de tout faire en France, …
Je le ferai peut-être un jour, mais aujourd’hui, cette histoire m’a incité à traiter le sujet de la gestion de projet.
Gérer un projet, ce n’est pas seulement mesurer des indicateurs et mettre la pression sur son équipe pour atteindre les objectifs.
La gestion de projet, c’est quoi exactement ? Qu’est-ce qu’un bon chef de projet ?
Avant de commencer
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La plupart des entreprises privilégient le mode projet. Cette organisation transversale permet de mener à bien toute sorte de projets qui nécessitent des compétences variées.
Pendant leurs premières années, les entreprises en création ne sont qu’un projet ambitieux et complexe qu’il faut gérer au mieux pour éviter une sortie de route rapide. L’organisation en mode projet y est naturelle.
Il y a différentes variantes de l’organisation en mode projet, mais ce n’est pas de cet aspect que je veux traiter aujourd’hui. Je souhaite plutôt aborder le côté humain du pilotage de projet.
Pourquoi “chef”?
Je n’ai jamais franchement aimé le terme “chef de projet”.
Dans l’atmosphère compétitive qui existe dans certaines entreprises, avec l’ambition légitime de beaucoup de personnes qui veulent des responsabilités, désigner un poste en employant le mot “chef” ne peut que susciter de la concurrence.
Le mot “chef” induit une attitude qu’il faudrait adopter pour revêtir cet habit : le chef donne des ordres, le chef décide, le chef sait, le chef contrôle, le chef sanctionne.
Beaucoup d’employés ont cette image négative du chef tout puissant, souvent du fait de mauvaises expériences. Ils aspirent donc à devenir chef pour minimiser leur frustration, et parfois réduire leur souffrance.
Il existe pourtant une vision noble du chef (nous y reviendrons plus loin), mais dans le cas de la gestion de projet, il me semble plus intéressant et approprié d’utiliser d’autres termes.
responsable de projet souligne le côté “enjeux à maîtriser” et la nécessité d’assumer les conséquences de ses décisions,
animateur de projet met en avant l’importance de l’esprit d’équipe et de la dynamique de groupe,
coordinateur de projet s’applique aux projets complexes qui nécessitent beaucoup d’ajustement et de synchronisation entre les tâches,
gestionnaire de projet convient aux projets où l’administration, le reporting et le budget sont particulièrement importants.
En fonction de la nature, de la complexité et de la taille d’un projet, il convient donc de choisir le meilleur terme pour désigner la femme ou l’homme en charge de conduire les opérations. Une personnalité et des compétences adaptées à chaque type de projet, sont aussi à privilégier au moment de nommer un responsable, un animateur, un coordinateur ou un gestionnaire de projet.
Pour quelles missions ?
Mais quelle est donc la mission d’un “chef de projet” ? (gardons ce terme convenu en ayant en tête ce qui vient d’être dit)
Tout le monde sera d’accord pour dire que la mission du chef de projet est d’atteindre les objectifs dans le respect du délai et du budget. Si cette définition est globalement correcte, elle est très incomplète et ne reflète pas la multitude des facettes de ce métier.
Le rôle et la mission d’un chef de projet sont larges et variés:
comprendre les objectifs du projet pour les traduire en actions à conduire
dialoguer avec le commanditaire du projet et en assurer le reporting
constituer, fédérer et motiver une équipe
découper le projet en tâches cohérentes, définir des jalons crédibles
animer, assurer le lien, faire circuler l’information
écouter, confronter et arbitrer
organiser la recherche de solutions lorsque les problèmes surviennent
allouer les ressources, suivre le budget, surveiller le planning
contrôler la réalisation et corriger les erreurs
anticiper les aléas et minimiser les risques
Il est clair que cette liste qu’il serait facile d’allonger, demande des qualités bien différentes, rarement toutes disponibles chez une même personne.
Task oriented vs. relationship oriented ?
Le psychologue américain John Donelson R. Forsyth classe les leaders en deux grandes catégories: celles ou ceux qui privilégient l’accomplissement des tâches, la recherche de la performance et celles ou ceux qui mettent l’accent sur la satisfaction, la motivation et le bien-être de leurs équipes.
A la lecture des dénonciations de la fondatrice de Lou.yetu par d’anciennes salariées, on peut en déduire qu’elle est certainement “task-oriented” et pas du tout “relationship-oriented”.
Même s’il est assez simple d’identifier chez une personne de quel côté de ses deux orientations, elle se situe, la réalité n’est pourtant pas binaire. Il est en effet plus probable qu’un leader mixe ces deux approches suivant les moments et les circonstances que traversent le projet, même si sa vraie tendance a des chances de ressortir lorsqu’il faut trancher entre le résultat et l’équipe.
Au moment de choisir une ou un chef de projet, quel type de personnalité préférer ? Y-a-t-il un type de personnalité condamné à l’échec et l’autre assuré de réussir ? Avant de se lancer dans l’entrepreneuriat, faut-il évaluer ses chances de réussites à l’aune de son taux de “task-orientation” ou de “relationship-orientation” ?
Quel est le bon équilibre ?
En réalité, nous sommes tous constitués d’un mélange d’orientation “tâches” et “relations” dont la proportion varie suivant les individus, mais aussi certainement au cours de la vie d’une même personne.
La balance peut bien sûr pencher très fort d’un côté ou l’autre. Tel chef de projet attendra que son équipier soit en burn-out total pour envisager de revoir l’objectif, ou tel autre s’assoira complètement sur les résultats par peur d’imposer quoi que ce soit de stressant.
La plupart d’entre nous sommes pourtant dotés de ces deux atouts: l’envie d’atteindre les objectifs et la préférence pour un travail en bonne harmonie.
Que manque-t-il alors à tous ceux qui ont du mal avec la fonction de chef de projet, qui en ont peur ou qui une fois qu’ils l’exercent tombent dans les travers de trop pencher d’un côté de la balance tâches/relations ?
Il y a sans doute de très nombreuses raisons qui peuvent expliquer cette difficulté à trouver un bon équilibre. J’en vois cependant quatre qui me semblent plus générales et plus fondamentales:
le manque de hauteur de vue: le chef de projet, surtout s’il est jeune ou avec peu d’expérience, va avoir tendance à coller au plus près de l’action, à s’impliquer dans les détails, à vouloir tout comprendre. Cette approche qui peut lui donner le sentiment que tout est sous contrôle, l’empêche de prendre du recul, d’observer, d’écouter, de réfléchir, de se projeter. Les problèmes de tâches surviennent alors par manque d’anticipation et les problèmes de personne par manque d’attention. Comme le général qui dirige la bataille depuis un promontoire, le chef de projet doit savoir prendre de la hauteur.
la vue à court terme: de même qu’elle manque de hauteur, la vue du chef de projet manque souvent de profondeur. Obnubilé par son planning et son budget, le chef de projet consciencieux pense que réussir au global, c’est réussir chaque micro étape. Il n’y a rien de plus faux: il faut parfois se tromper, échouer pour apprendre et ainsi comprendre le bon chemin à emprunter. Le chef de projet expérimenté qui travaille pour l’avenir sait qu’il faut parfois laisser son équipe tâtonner pour trouver la bonne solution.
l’incapacité à faire du “trade-off”: il n’existe pas de réussite sans compromis. Ne pas savoir choisir entre deux options antagonistes par perfectionnisme ou peur du risque, est surement l’un des pires défauts du chef de projet. A contrario, prendre son risque, assumer ses choix et les défendre devant ses supérieurs, le crédibilise. L’équipe acceptera un effort supplémentaire pour obtenir un résultat, si le compromis est expliqué et si la fois suivante, l’objectif est aménagé pour préserver l’équipe.
le manque de créativité: face à un problème difficile, le chef de projet peu créatif prend panique et a tendance à devenir dur avec son équipe, car il a peur d’échouer. A l’inverse, le créatif confiant en ses capacités pense qu’il trouvera toujours une solution. Cela lui permet de rester calme et lucide, d’être plus empathique avec son équipe, autant de qualités qui contribuent à faire retomber la pression et donc à créer les conditions favorables à la résolution du problème.
Comment faire pour réussir ?
Même en recherchant l’équilibre sur la balance “tâches/relations”, même en prenant de la hauteur et de la profondeur de vue, même en faisant des compromis et en étant créatif, le chef de projet n’est pas sûr de réussir, s’il est un homme ou une femme seul.
La principale qualité du chef de projet est de s’entourer. Son équipe n’est pas une armée d’exécutants à son service mais une fratrie bourrée de talents dont il doit maximiser l’expression.
Comment y parvenir ? Les étapes sont claires :
se connaître soi-même: impossible de bien s’entourer s’il ne se connaît pas, s’il n’est pas lucide avec ses défauts et s’il n’a pas l’humilité de penser qu’il ne possède pas toutes les qualités.
reconnaître le talent: le chef de projet doit identifier rapidement chez une personne de son équipe les points forts et les traits principaux de caractère, afin de distribuer les tâches efficacement. L’erreur de casting est la plus certaine des routes vers l’échec.
choisir un second complémentaire: même dans une petite équipe, il est essentiel pour le chef de projet d’identifier un bras droit. Même s’il est souvent plus confortable au premier abord de travailler avec quelqu’un qui lui ressemble, ce n’est jamais un bon choix d’en faire un second. Le bon bras-droit doit être son opposé. Le chef de projet fortement orienté “tâches” soit s’attacher l’aide d’un second empathique. De même le chef de projet empathique doit choisir un second gardien du planning et du budget.
écouter sélectivement: gérer un projet difficile n’est que très rarement une séance de démocratie participative. Être un leader à l’écoute ne signifie pas prêter l’oreille au moindre avis. Le bon chef de projet sait, en fonction du sujet, à qui il doit poser des questions, et l’avis de qui doit être sérieusement pris en compte. Bien sûr chaque membre de l’équipe bénéficie en fonction du sujet de l’écoute attentive.
laisser travailler sans stresser: comme la plante ne poussera pas plus vite si on lui tire dessus, ou le café ne passera pas plus vite en chauffant plus fort, une bonne équipe ne travaillera pas mieux en étant sur son dos. Une fois les objectifs fixés, les tâches réparties aux bonnes personnes, les jalons fixés et le reporting planifié, le chef de projet doit laisser chacun travailler à sa manière, tout en restant disponible 24h/24.
Alors qu’est-ce qu’un vrai chef ?
J’ai emprunté le titre de cet article au général de Villiers. Je vais donc terminer en lui laissant la conclusion qui situe magnifiquement où placer le curseur dans le subtil équilibre que constitue la mission d’un chef:
“Alors, à quoi reconnaît-on un vrai chef ? Le premier critère tient certainement à sa capacité à analyser avant toute décision l’impact qu’elle aura sur les femmes et les hommes qui en subiront les conséquences. Toute autorité est un service et le premier d’entre eux est de se dévouer corps et âme à ses équipes. Là est la finalité du vrai chef à laquelle tous les moyens doivent être ordonnés. […]
Combien ai-je vu de réunions, au cours desquelles des discussions passionnantes font apparaître des possibilités nouvelles qu’étouffe en conclusion un responsable financier, rivé sur ses chiffres ? L’impossible budgétaire ne peut être le dernier mot de toute initiative humaine. Au chef de veiller à ce que les nécessités financières informent, encadrent, mais n’entravent pas les décisions stratégiques - faute de quoi la raréfaction du possible, qui est l’oxygène d’une organisation, conduira à son asphyxie.”
Pour aller plus loin
Qu’est-ce qu’un chef ? : livre du général Pierre de Villiers
Un pas dans l’inconnu #32: Piloter l’inconnu
Un pas dans l’inconnu #31: Un gestionnaire très augmenté
Un pas dans l’inconnu #24: La corde à trois brins
Un pas dans l’inconnu #11: Et si nous faisions confiance ?
La minute d’informations
Je me permets de partager ici des informations ou activités sans liens obligatoires avec le thème de l’article, mais dans lesquelles je suis impliqué.
Laval Mayenne Technopole organise un Webinaire, le mardi 9 février de 11h à 12h (événement en ligne)
10 sources d'inspiration pour vos futures innovations
Vous avez fait le tour de vos idées ? Vous vous demandez comment vous et vos collaborateur·trice·s pourriez donner un nouveau souffle aux projets d'innovation de votre entreprise ? Vous recherchez de nouvelles sources d'inspiration ?
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Je bois (comme d'habitude) du petit lait en lisant votre article. J'ai fait des études d'ingénieur (Génie Mécanique) avec une orientation finale en "conduite de projet" (autre terme possible pour chef de projet?). Je me souviens encore très bien du vertige qui m'a pris lorsque je me suis vu confier la conduite du projet sur lequel j'avais démarré ma carrière. Moins en raison de sa gestion à proprement parler, ma formation me permettant de bien appréhender le "task management", mais véritablement en raison de l'animation du groupe, de ces collaborateurs qui m'avaient vu grandir au sein de l'équipe... Le "relationship management" est à mon sens la principale difficulté, car elle est propre à chacun, et souffre du manque de spontanéité d'un chef pour qui ce n'est pas naturel. J'ai quitté cette société après 19 ans de bons et loyaux services, non pas à cause de sa situation financière désastreuse ou d'objectifs à atteindre plus qu'ambitieux, mais à cause de mon "chef" qui, à 45 ans pourtant, n'avait que les objectifs, le contrôle et le pouvoir en tête, quitte à envoyer toute l'équipe en Burn-out. D'ailleurs, puis-je vous suggérer un sujet pour une prochaine Newsletter? "Comment survivre à un management toxique?" Il y a de nombreux articles sur le sujet, mais je suis impatient de vous lire sur ce thème.