La semaine passée, le premier épisode de la saison 4 de “Qui veut être mon associé ?”, l’émission de M6 qui met en avant les entrepreneurs, a battu son record d’audience avec 2 millions de téléspectateurs.
La présence de Tony Parker, le roi des parquets de basket aujourd’hui devenu investisseur y est sans doute pour quelque chose.
Mais la réussite de cette émission réside pour moi dans l’intensité des émotions qui s’y manifestent.
Les entrepreneurs y vivent un moment unique qui révèle leur personnalité.
Les investisseurs ont un incroyable talent pour être à la fois sincèrement bienveillants et pourtant vrais et directs dans leurs critiques.
Ce premier épisode de la saison 4 a atteint un moment d’intensité inouïe lorsqu’Anthony Bourbon profondément touché par l’histoire de Fabio Coupas s’est identifié à lui. Avec ce que certains jugeront comme de la fanfaronnade mais qui pourtant était, je le crois, une impulsion sincère, Anthony s’est levé et a improvisé un pitch de 3 minutes pour montrer à Fabio ce qu’il aurait dû faire.
Ce pitch est une masterclass qui restera dans les annales de l’émission et qui fera les beaux jours des formations au pitch !
Je vous décortique ici les raisons de l’impact de ce pitch.
Pré-requis
Si vous n’avez pas vu l’épisode 1 saison 4 de Qui veut être mon associé ?, il est préférable de regarder le pitch d’Anthony Bourbon avant de lire cet article.
M6 vous propose un court résumé de l’histoire de Fabio, paysagiste de 21 ans, sorti par sa volonté d’un début de vie mal embarqué et aujourd’hui à la tête de 2 entreprises et de 60 salariés, et un lien vers le pitch d’Anthony.
Vous êtes maintenant prêts à décortiquer avec moi le pitch et comprendre les ressorts de cet exercice.
1. Se présenter et poser l’ambition
“Bonjour à tous. Je m’appelle Fabio. J’ai 21 ans. J’ai la dalle. Je vais tout exploser et je serai numéro 1”.
En 8 secondes et 5 phrases ultra-courtes, Anthony se présente et donne son ambition.
Trois éléments pour la présentation :
son prénom seulement, pour créer une proximité avec le jury et le mettre de son côté.
son jeune âge qui contraste avec l’ambition qui suit, pour créer un impact et accrocher l’intérêt du jury.
et une formule imagée et très forte qui fait écho à son histoire et la motivation qui le fait avancer, pour donner envie d’en savoir plus.
Cette accroche (le “hook” en anglais) est parfaite. Le cadre est posé, la curiosité est attisée et la proximité est amorcée.
L’ambition est assénée comme un uppercut qui produit un KO.
L’utilisation du mot exploser montre à la fois l’énergie considérable qui va être mise dans cette entreprise et la révolution qu’elle va générer. Exploser les concurrents se fait souvent par l’introduction d’une approche radicalement différente.
Être le numéro 1 : l’ambition est claire et affirmée. Pas d’hésitations ni de fausse pudeur.
Cette ambition est ensuite développée en associant les investisseurs, en leur promettant de vivre une expérience forte et pleine de sens : “Si vous pariez sur moi, si vous investissez dans ma boîte, ensemble nous allons vivre une aventure exceptionnelle, pas seulement pour nous mais pour tous les jeunes qui nous regardent et qui eux aussi sont dans une situation difficile.”
2. Le pourquoi
“Jamais je n’abandonnerai parce que cette boîte elle est à l’intérieur de moi, c’est un Why puissant. Chaque matin, quand je me lève, j’ai une rage, une énergie qui me permettra de ne jamais baisser les bras. Quand mes concurrents, ils auront envie d’aller prendre un apéritif, moi je serai au travail en train de charbonner. Quand mes concurrents seront contents d’avoir fait 10 millions de CA, moi, je serai obsédé pour en faire 100.”
L’investisseur qui met son argent entre les mains d’un entrepreneur a besoin de savoir quelle est la motivation intrinsèque profonde de celui-ci. L’investisseur sait qu’entreprendre est difficile et que les difficultés vont survenir. Il a besoin d’être rassuré sur le fait que l’entrepreneur ne va pas tout lâcher à la première épreuve venue.
Sans savoir encore exactement ce qu’il a vécu, on comprend qu’Anthony a une revanche à prendre sur la vie (il le dira d’ailleurs en conclusion avec ses mots) et que c’est de là qu’il tire son énergie, sa détermination et son ambition.
De tout cela, découle sa grande capacité de travail qui lui permettra de faire mieux que ses concurrents.
L’histoire des entrepreneurs à succès montre que cette revanche sur la vie après une enfance difficile est très souvent un “driver” puissant. Steve Jobs et Larry Ellison abandonnés par leurs parents, Oprah Winfrey abusée sexuellement dans son enfance, Bernard Tapie issu d’une famille très modeste sont quelques exemples d’entrepreneurs animés par une revanche à prendre.
Bien entendu, la revanche à prendre n’est pas la seule motivation qui permet d’entreprendre, mais l’entrepreneur doit montrer quelle est la source presque intarissable de la motivation qui l’anime, le pourquoi de son engagement dans cette aventure difficile de l’entrepreneuriat.
3. La logique du business
Fabio est un paysagiste comme il en existe tant. A côté, il a aussi créé une plateforme de mise en relation de clients ayant un besoin pour leurs jardins avec des paysagistes. Il évoque aussi la volonté de monter une franchise pour faire profiter à d’autres de son savoir-faire et de sa marque.
Mais en l’écoutant tout cela est un peu brouillon, et on ne comprend pas toujours comment ces diverses activités s’emboitent. On a plus l’impression qu’elles sont empilées sans vraie stratégie.
Sans forcément qu’il y ait plusieurs entreprises, les jeunes entrepreneurs ont très souvent du mal à articuler les différentes offres qu’ils proposent et à expliquer clairement quelle est la logique de leur entreprise. Il en ressort une confusion qui peut faire peur aux investisseurs.
“Cette boite depuis le début, je l’ai pensée, je l’ai imaginée comme une galaxie de services, qui s’apportent les uns aux autres. D’abord, je me suis concentré sur la pierre angulaire, le cœur du métier, la verticale, Coupas Jardins. …. Ensuite, on a fait Comingaïa qui vient compléter tout ça, plateforme de mise en relation entre des clients et des jardiniers, des prestataires. Le liant dans tout ça, qu’est-ce que c’est ? La franchise. Nous vendons notre marque réputée, sérieuse, à des jardiniers, des prestataires.”
Anthony n’invente rien, ne rajoute rien. Il met de l’ordre, du lien, de la logique et du sens. En quelques phrases, on comprend quelles sont les offres, comment elles interagissent, se complètent et s’apportent mutuellement.
Rien ne paraît superflu et rien ne paraît confus.
Il insiste au départ sur le fait que tout cela a été pensé, imaginé dès le début. Rien n’a été laissé au hasard et le résultat est le fruit d’une construction logique et rationnelle.
Sur la forme, on remarquera, qu’au moment de prononcer le nom de la marque, Anthony ralentit, laisse un blanc et prononce clairement et lentement le nom de la marque Coupas … Jardins, avec une respiration entre les deux mots.
Cette façon de faire permet d’ancrer la marque dans la tête des auditeurs. J’ai entendu tellement de pitchs, où la marque était à peine citée, dite à la va-vite, mal prononcée et au final ne laissait aucune trace dans la mémoire des auditeurs.
4. La promesse
Au passage, Anthony glisse la promesse de Coupas Jardins qui permet de comprendre en quoi cette entreprise cherche à se différencier de ses concurrents ordinaires.
“Nous faisons le jardin de vos rêves, plus vite que les autres, moins chers que les autres, mieux que les autres”.
Cette promesse est magique et montre l’écoute client de l’entreprise : en une phrase, elle adresse les trois questions essentielles que se posent tout propriétaire qui cherche un paysagiste : le délai, le prix et la qualité.
Dès le début, Anthony a annoncé son ambition d’être le numéro 1. Il montre ici concrètement en quoi il veut répondre aux attentes des consommateurs mieux que tous les autres. C’est ainsi qu’on devient numéro 1.
Pensez à la réussite de Carglass, exactement bâtie sur ce modèle : plus vite, mieux et sans avancer d’argent.
5. La proposition de valeur
“On leur met à disposition des outils technologiques de pointe pour leur simplifier leur quotidien avec de la facturation et des devis. Naturellement, on va leur offrir une mise à disposition prioritaire de la plateforme de manière à ce qu’ils puissent aspirer du chiffre d’affaire très rapidement. Les clients eux ils sont ravis, puisqu’ils ont des prestataires de qualité sélectionnés par nos soins.”
Créer une franchise ne peut se faire que s’il y a une vraie proposition de valeur au travers d’un service clair à offrir aux membres du réseau et d’un apport de clientèle.
C’est très souvent l’innovation qui permet de créer une proposition de valeur qui fait la différence pour le franchisé. L’innovation peut-être plus ou moins technologique, mais elle doit avant tout être utile. Quoi de mieux que de faciliter et de simplifier le quotidien du franchisé.
De façon générale, il faut retenir que l’innovation qui simplifie la vie à toutes les chances de réussir. Personne ne peut résister à une proposition qui fait gagner du temps, qui économise de l’argent, qui enlève des efforts et de la fatigue.
Le franchisé paysagiste amoureux de son métier et soucieux de bien servir ses clients n’est pas systématiquement un bon commerçant. Lui apporter des “leads” client qu’il n’a qu’à conclure est du pain béni pour lui. La capacité du franchiseur à réussir cela est un argument de choc pour le faire adhérer.
Vous avez certainement entendu les publicités de “Daniel Moquet signe vos allées” à la radio. Celles-ci servent à générer des “leads” clients qui tombent à la centrale de la franchise et sont ensuite dispatchés aux franchisés suivant leur zone de chalandise. Cette méthode bien rodée a fait la réussite de cette entreprise mayennaise fondée elle aussi par un paysagiste. Coupas Jardins ferait bien de s’en inspirer !
6. La chute
“Vous l’avez compris, cette boîte c’est bien plus qu’une entreprise, c’est l’histoire de ma vie. C’est l’histoire d’une vengeance, l’histoire d’une revanche, et personne ne pourra m’arrêter. L’échec n’est pas envisageable. Je serai le meilleur. Si vous pariez sur moi, je vous rendrai riches et en plus on montrera à tous que même si vous êtes en train de traverser l’enfer, un jour vous pourrez à votre tour profiter du paradis. Je m’appelle Fabio, j’ai 21 ans, j’ai la dalle, je vais tout éclater et je serai le numéro 1.”
Dans un pitch, la chute est importante.
Ici Anthony choisit de mettre en avant deux points essentiels :
il rappelle qui il est, d’où il vient, qu’elle est sa motivation et pourquoi il est l’homme de la situation pour réussir cette aventure. Le projet aussi beau soit-il ne suffit pas. Ce sont les hommes et les femmes qui les portent qui font la réussite des projets et il est essentiel dans un pitch de démontrer que vous êtes l’homme ou la femme capable de conduire ce projet au succès.
il promet aux investisseurs un retour sur leur investissement. Les entrepreneurs qui lèvent des fonds oublient très souvent que les investisseurs ne sont pas des philanthropes même s’ils parlent souvent d’aider, d’accompagner l’entrepreneur, de lui ouvrir leur réseau. Ils sont là avant tout pour que leur argent fructifie. Leur dire comment et combien ils vont gagner d’argent est un point à ne pas oublier dans son pitch.
Sur la forme, Anthony termine son pitch par la même phrase qu’il l’a commencé. Cet effet rhétorique appelé antépiphore, montre aux auditeurs que l’on n’a pas perdu le fil de son discours, que l’on sait d’où on est parti, car c’est là qu’on veut aller. Cela permet d’ancrer dans leur mémoire l’élément clé du discours.
Bravo Anthony
Sachant qu’il est spontané, improvisé, ce pitch presque parfait est incroyablement bluffant. Bravo Anthony.
Pourquoi l’a-t-il réussi à ce point ?
Beaucoup de pitch médiocres d’autres entrepreneurs de Qui veut être mon associé ? auraient pu être repris. Pourquoi Anthony a-t-il choisi de se lancer sur le pitch de Fabio ?
Parce que c’est le sien.
Anthony s’est totalement reconnu en Fabio. Ses difficultés, sa soif de revanche, sa niaque entrepreneuriale sont celles d’Anthony.
Alors au final, il suffisait pour Anthony de dérouler son propre pitch en remplaçant les barres protéinées par l’entretien des jardins !
Bravo quand même ! Il fallait le faire d’un trait, sans hésiter et avec une telle force de conviction.
Prenez de la graine !
Pour aller plus loin
sur l’ambition, UPI#20 : L'Ambition, facteur de réussite ?
sur le why, UPI#10 : La Vision change tout
sur les plateformes de mise en relation entre clients et prestataires, UPI#15 : Amazon et les foires de Champagne
sur le pitch, outil de démonstration, UPI#35 : Le pitch n’est pas un show
sur les bases de la communication, UPI#62 : Le fond et le forme
sur le storytelling, UPI#88 : Le storytelling fait vendre
sur la présentation écrite de projet, UPI#106 : Démontrer plus que décrire
La minute d’informations
Je me permets de partager ici des informations ou activités sans liens obligatoires avec le thème de l’article, mais dans lesquelles je suis impliqué.
Le cimetière de l'innovation : échecs décortiqués
Webinaire, le mardi 13 février de 11h à midi
Pourquoi tant d’idées géniales finissent-elles six pieds sous terre ?
Grâce à ce webinaire animé par Charlotte Duval, chargée d’accompagnement des entreprises chez Laval Mayenne Technopole, découvrez ou re-découvrez des exemples de projets ou entreprises qui ont échoué, et tirons ensemble les leçons de ces expériences pour éviter les pièges et stimuler votre propre succès dans le monde de l’innovation.
Prêt·e à réussir ? Inscrivez-vous ! (événement en ligne)
Vous n'êtes pas dispo à cette date ? Inscrivez-vous quand même, vous recevrez le lien du replay dès sa mise en ligne !
Il est bon Anthony Bourbon !
Merci Christian et grand bravo pour la justesse de ton analyse.
Subtile équilibre entre chaleur authentique, qui prend aux tripes, et force froide qui clarifie et sécurise.
Hâte d'écouter un jour un pitch "made in Travier" pour un futur grand projet dont tu as le secret ;-)
Merci Christian pour cette analyse poussée de ce moment télé.
Personnellement, je suis beaucoup plus modéré par rapport à ce pitch.
Sur l'aspect "Se présenter et poser l’ambition", ça génère effectivement beaucoup d'émotions. C'est un beau spectacle ; c'est parfait pour faire de l'audimat.
Par contre, en tant qu'investisseur, je viens pour découvrir un entrepreneur à travers son projet, pas pour assister à un show. Je n'investis pas dans les 🤡.
En revanche, je partage tout à fait ton point de vue sur l'aspect restructuration et logique de son business. Mieux présenté, on comprend mieux la stratégie, et comment chaque activité va venir nourrir les autres. Pour le business, c'est un très bon point. Et cela n'était pas suffisamment mis en avant dans la première version du pitch.