Un concours de startups, une demande de subvention, une levée de fonds, une sélection pour intégrer un incubateur ! Autant de situations qui demandent la production d’un dossier de présentation de son projet.
Depuis que je suis dans le monde de l’entrepreneuriat, j’ai lu des milliers de dossiers, participé à des centaines de jurys et comités. Je vous livre aujourd’hui les secrets pour réussir cette épreuve souvent cruciale dans le franchissement d’une étape.
A l’heure où l’usage de ChatGPT va s’accélérer (UPI#105), il deviendra paradoxalement encore plus important de maîtriser l’art de créer un dossier de présentation de son projet clair et convaincant.
Les principes à appliquer pour créer un bon dossier de startup sont aussi valables pour les documents de présentation de projets à défendre auprès de la direction d’une grande entreprise, où les réponses à des appels d’offres commerciaux.
Savoir écrire un bon dossier de présentation est une compétence utile bien au delà de la situation de l’entrepreneur qui lève des fonds.
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Le bien nommé Pitch Deck
Un dossier de présentation de projet est appelé dans le jargon des startups un “slide deck”, ou plus simplement encore un “deck”.
Bien que présenté aujourd’hui sous forme numérique, cette terminologie fait référence au temps où les présentations étaient faites à partir de transparents à projeter.
Une présentation de projet était alors constituée d’une pile de transparents que l’on pouvait arranger dans l’ordre le plus adapté à la circonstance de la présentation.
En anglais, “deck” désigne aussi le pont d’un navire !
Pour garder une image de l’utilité d’un “deck”, il suffit de penser à un porte-avion. Le pont du navire sert à faire décoller les avions.
Le “deck” sert à faire décoller son projet !
Pensé pour le lecteur
La principale erreur commise par le rédacteur d’un dossier de présentation de projet est de ne pas penser à son lecteur.
De façon évidente, le dossier est destiné à être lu par quelqu’un ! Et pourtant, on dirait souvent que le rédacteur s’adresse à lui-même, traitant de ce qui l’intéresse lui.
Quelques conseils pour que le lecteur se sente concerné par le dossier :
savoir à qui il est adressé : désolé, mais un dossier pour un concours n’est pas le même que pour un banquier ! Il est essentiel de faire un dossier spécifique pour chaque interlocuteur.
se mettre dans la peau du lecteur : qui est-il ? qu’est-ce qu’il sait ? qu’est-ce qui l’intéresse ? quels sont ses critères d’évaluation ?
éviter le jargon : tout le monde n’est pas développeur ou neurobiologiste ! Lorsqu’on ne peut les éviter, les termes techniques doivent être définis.
adapter la quantité d’informations au profil du lecteur : il faudra par exemple plus de chiffres pour le banquier, plus de technologie pour un concours d’innovation, et plus de qualités entrepreneuriales pour un incubateur.
Concis et précis
Il fut un temps où les dossiers de présentation de projet faisaient 70 pages écrites en police 10. Lorsqu’on était membre d’un jury et qu’on voyait arriver 15 dossiers de cette nature, il valait mieux avoir beaucoup de temps devant soi.
Aujourd’hui, ces très longs dossiers ont presque disparus et c’est mieux ainsi. Il n’est point nécessaire de faire un roman pour faire passer les idées fortes de son projet et être compris.
Quelques conseils pour être concis et précis :
éviter trop de généralités : je vois encore des dossiers qui expliquent en détail sur 5 pages les enjeux climatiques pour pouvoir ensuite dire que leur produit fera économiser quelques grammes de CO2 et justifier ainsi de sa pertinence. Ceci est lassant pour le lecteur qui a alors tendance à penser que le rédacteur fait du remplissage car il n’a pas grand chose d’original à dire.
aller droit au but : il n’est pas nécessaire de remonter à l’origine de l’univers pour justifier de l’intérêt de son projet. Le lecteur a hâte de connaître l’objet du projet. Il ne faut pas abuser de sa patience.
donner les chiffres-clés : il faut être concis et ne donner au lecteur que le juste nécessaire, les chiffres qui servent la démonstration. Si le projet est un site de e-commerce pour vendre de la confiture bio, il n’est pas nécessaire de donner les chiffres du marché mondial du e-commerce sur chaque continent ! Noyer le lecteur de chiffres pour montrer la bonne maîtrise du sujet, ne rend pas le projet plus convaincant.
Autosuffisant
A la différence d’un pitch en vis-à-vis, le dossier est destiné à être lu en l’absence de son auteur. Il est donc impératif qu’il contienne toutes les informations nécessaires à sa compréhension.
Dès lors que le lecteur doit sortir du dossier et consulter internet pour trouver des informations complémentaires, c’est une perte de temps. Beaucoup de lecteurs ne font pas cet effort et n’ont donc pas tous les éléments pour évaluer au mieux le dossier.
Quelques conseils pour rendre un dossier autosuffisant :
les pages doivent être bien ordonnées : chaque page doit ajouter les informations nécessaires à la compréhension des pages suivantes de telle sorte qu’il ne soit jamais nécessaire d’aller lire plus loin dans le dossier pour comprendre la page courante. Si tel n’est pas le cas, le lecteur a tendance à penser que le dossier n’est pas complet.
les informations principales doivent être présentes : rien n’est évident a priori et il est donc important de mettre les points sur les “i”. Ne laissez pas le lecteur imaginer votre stratégie commerciale par exemple ! Il s’en fera sans doute une idée, mais le risque est alors qu’il évalue non pas le vrai projet mais l’image qu’il s’en est faite !
les schémas doivent être compréhensibles et légendés : un dessin vaut mieux que mille mots à condition que celui-ci soit lisible et explicite. Attention aux schémas ou tableaux remplis d’informations mais reproduits trop petits dans le dossier. Les pictogrammes doivent être facilement identifiables et donc le plus proche possible des représentations les plus courantes. Les axes des courbes doivent être nommés, et l’unité doit être indiquée. Les schémas de principe doivent être commentés pour expliquer leur lecture si celle-ci n’est pas évidente.
les références ne servent qu’à prouver l’origine des affirmations : s’il faut aller lire une référence pour comprendre le propos du “deck”, c’est une erreur. L’information importante contenue dans la référence doit être reproduite dans le dossier.
les annexes ne sont là que pour celui qui veut creuser le sujet : aucune information essentielle à la compréhension de base du dossier ne doit figurer en annexe. Il faut partir du principe que les annexes ne sont pas lues !
Agréable à lire
L’examinateur, le juré ou l’investisseur reçoivent de nombreux dossiers. Comme pour un CV lors d’un recrutement, un dossier soit aussi sortir du lot par son look !
La forme visuelle loin d’être négligeable peut si elle n’est pas travaillée, mettre une barrière à l’appréciation du dossier.
Quelques conseils pour ne pas froisser le lecteur dès la première vue du dossier :
bien choisir sa police : certains pensent qu’une police exotique permet d’embellir un dossier. Sauf cas exceptionnel où la police serait en lien avec le thème du dossier, il convient de rester sobre et d’adopter une police lisible et une taille de caractère suffisante. Il n’est pas recommandé d’écrire petit pour en mettre plus dans le nombre de pages préconisées (une vingtaine au maximum).
soigner les illustrations : il est habituel que les illustrations proviennent de sources variées (si c’est le cas il faut les citer !) et aient donc des “look” assez hétérogènes. S’il y en a beaucoup, on peut vite avoir une impression d’incohérence. Il est donc utile de recréer ces illustrations dans un style unique en rapport avec la charte graphique de l’entreprise.
éviter les fautes d’orthographe : c’est une évidence, mais il est pourtant fréquent de voir des dossiers bourrés de fautes. A croire que les rédacteurs ne connaissent pas l’usage des correcteurs de leur logiciel de traitement de texte !
hiérarchiser l’information : il ne faut pas penser que même si le dossier est synthétique, le lecteur va tout lire. Habitué de ce type de dossier, connaissant souvent le secteur d’activité du projet, le lecteur va balayer rapidement chaque page et chercher l’information principale, celle qui porte la valeur du projet. Il est donc essentiel de hiérarchiser l’information sur chaque page en jouant sur la taille de la police, en soulignant ou encadrant certaines parties ou en jouant sur la graisse. L’information principale, les chiffres-clés, les arguments massue doivent sauter aux yeux. Au-delà de faciliter la lecture, cette présentation montre que le porteur sait ce qui est important dans son projet !
Les questions que tout le monde se pose
Les conseils précédents relèvent de la forme. Mais qu’en est-il du fond ?
Le lecteur d’un “deck” démarre le dossier avec des attentes. Dès lors qu’une au moins de ses attentes n’est pas comblée, le dossier sera mal évalué.
Il est donc essentiel pour le rédacteur de connaître les 10 attentes que tout évaluateur va avoir, que cela soit ou non explicité dans les consignes données par le jury ou l’organisme qui reçoit le dossier.
Quelle est la légitimité du porteur de projet ? : quel est son parcours, quelles sont ses compétences, quelle est sa personnalité ? Quelle expérience a-t-il vécue en lien avec le projet ? Est-il entouré ? Si oui, qui sont ses compagnons de route et qu’apportent-ils au projet ?
Quelle est l’origine du projet ? : qu’est-ce qui a déclenché cette envie de se lancer ? Quelles circonstances, quelles rencontres, quelles expériences ont été suffisamment fortes pour mettre en mouvement le porteur de projet ?
Quel problème adresse le projet ? : un projet entrepreneurial adresse un problème parfaitement identifié ou latent. Celui-ci doit être décrit clairement et supporté par des chiffres et des verbatims de personnes concernées.
Quelle solution est proposée ? : c’est la partie généralement préférée des porteurs de projet, mais la description de la solution n’est pourtant pas toujours réussie. Il faut en particulier explicitement démontrer en quoi elle répond au problème mieux que l’existant, en quantifiant si possible le gain.
Quels sont les concurrents ? : c’est une des parties les plus souvent négligées. Personne n’aime parler de ses concurrents, surtout s’ils sont bons. Éviter au lecteur de chercher les concurrents car il va en trouver et cela va l’énerver de voir qu’ils ont été passés sous silence.
Quel est le business-model ? : Comment gagne-t-on de l’argent ? Quels sont les éléments principaux du modèle d’affaires : les sources de revenus, les prix, les marges, ….
Quel est l’état d’avancement ? : ce point est souvent frustrant pour le lecteur, car il y a régulièrement une confusion savamment entretenue entre ce qui est déjà fait et ce qui est programmé. Il est pourtant essentiel de comprendre si l’on est encore au stade de l’idée ou si le produit est déjà existant. Idem pour le commercial : y-a-t-il eu des ventes ? à qui ? combien ?
Quel est le plan d’action ? : une bonne idée ne vaut rien. Seule l’exécution d’un plan d’action solide peut conduire à la réussite. Il est donc très important de montrer que le porteur de projet sait par où il va passer.
Quel est le prévisionnel financier ? : projeter sa vision des premières années au travers d’un prévisionnel financier est souvent perçu par le porteur de projet comme un exercice imposé fastidieux. Cela traduit pourtant le fonctionnement de l’entreprise, et reflète la vision du porteur de projet.
De combien d’argent a-t-on besoin ? : dans le cas d’une demande de prêt ou de subvention ou en cas de levée de fonds, il faut être explicite sur le montant de sa demande. Il faut aussi préciser à quoi sera employé l’argent et dans le cas d’une levée de fonds quelle est la valorisation proposée.
Démontrer plus que décrire
En résumé, un dossier de présentation de projet doit être une démonstration plus qu’une description.
Une description aussi bien faite soit-elle reste une peinture en 2 dimensions du projet. Elle est fade et a peu de chance d’emporter l’adhésion et encore moins l’enthousiasme du lecteur.
Une démonstration prend le lecteur et l’amène pas à pas à adhérer à l’idée car chaque argument apporté lève un de ses doutes. A la fin, il n’a d’autres choix que d’être convaincu !
La description peut comporter des manques. L’œil saura les reconstituer, mais le tableau demeurera flou, et au final le lecteur passera son chemin.
La démonstration ne souffre pas l’absence d’un maillon qui casse la chaîne de la logique et détruit le raisonnement. Chaque étape doit être solide et reliée à la précédente pour emporter le morceau !
La démonstration est un raisonnement quasi mathématique et en tous cas logique.
La surcouche d’émotion rajoutée par dessus ne peut combler les failles. Elle ne sert qu’à intensifier l’enthousiasme intellectuel du lecteur conquis par le raisonnement en le faisant basculer dans la passion.
C’est ainsi que s’emporte les victoires !
Pour aller plus loin
Quelques-uns des anciens numéros de cette Newsletter qui complètent et approfondissent le propos :